« Diversité », « vivre ensemble », « multiculturalisme », autant de mots qui peinent à garder un sens tellement ils ont été employés à des fins de communication. Pourtant, sans même les prononcer, et sans fanfares, certain.es œuvrent réellement à leur matérialisation. C’est le cas au sein du GFIC, ou Groupe des Foyers Islamo-Chrétiens. Depuis 1977, cette association accompagne les couples mixtes musulmans-chrétiens à construire un espace à eux.

Par Eva Tapiero

Sentir que l’on n’est pas seul.e face aux difficultés

L’anthropologue Catherine Therrien compare le couple mixte à un voyage. Dans son ouvrage En Voyage chez soi – Trajectoires de couples mixtes au Maroc, elle rappelle que toute relation de couple comporte des difficultés et compromis, mais ce qui est particulier pour les couples mixtes, « c’est que les difficultés (…) qui correspondent à ce que j’appelle l’établissement des frontières légales et symboliques se révèlent relativement tôt dans la relation, et mettent à l’épreuve les couples mixtes et les relations familiales ». Ainsi les jeunes conjoints peuvent-ils avoir particulièrement besoin d’aide et de soutien dès les débuts.

C’est ce qui s’est passé pour Myriam et Maxime. Lorsqu’ils contactent l’association fin 2012, ils sont « un peu perdus ». La jeune femme redoute les réactions de sa famille. Ensemble, ils cherchent de l’aide. « A l’époque [le GFIC] n’arrivait pas du tout dans les premières occurrences en ligne, donc il fallait vraiment chercher ! ». Lorsqu’ils tombent enfin sur l’association, « c’est un soulagement ». « Il y a eu un avant et un après. On s’est senti entourés, on se dit “ah, il y a des couples qui forment des familles heureuses et épanouies”, ça fait du bien de voir qu’on n’est pas seuls ». Aujourd’hui, ils accompagnent eux-mêmes des couples au sein du GFIC, et Myriam organise désormais des cercles de parole pour les femmes en couples mixtes. « Ce qui se dit dans ce cadre est sécurisé, des choses très fortes se racontent. »

Il y a tellement de sujets : le prénom des enfants, l’éducation religieuse, les relations avec les belles-familles, la cérémonie du mariage…

Lucie, ancienne Présidente du GFIC

Une association guidée par le partage d’idées et d’expériences

Le GFIC est né de la volonté de trois couples musulmans-chrétiens au début des années 70. A la Pentecôte 1977 a lieu la première rencontre formelle du GFIC, qui a depuis rassemblé plus de 170 couples mixtes.

Lucie a fait appel à l’association pour son union – avec Adel, avant d’en devenir la Présidente pendant plusieurs années. « Le but, c’est de mettre en relation des couples qui se posent des questions sur la façon dont ils peuvent vivre au quotidien. Il y a tellement de sujets : le prénom des enfants, les interdits alimentaires, l’éducation religieuse, les relations avec les belles-familles, la cérémonie du mariage, les pressions familiales ». Les réponses apportées sont personnelles et adaptées à chacun.e. « C’est un réseau d’échanges et de partages d’expériences. On ne donne pas de réponses toutes faites, car il y a autant de manières de faire qu’il y a de couples. »

Trois temps forts rythment l’année du GFIC, en national et dans les différentes antennes à travers le pays. A la Pentecôte, un.e intervenant.e chrétien.ne et un.e autre musulman.e sont invité.e.s pour éclairer et approfondir des connaissances théologiques ou une réflexion sur la foi pendant quelques jours. Une journée théologique est également organisée une fois par an autour de « sujets plus pointus », précise Lucie : l’interprétation des Ecritures avec un.e islamologue et un prêtre, le thème de l’amour ou du rapport à la science. Les interventions sont suivies d’une séance de questions-réponses. Enfin, des “cafés-couples” réguliers permettent des discussions plus informelles.

On est mine de rien, malgré tout, un modèle.

Lucie, ancienne Présidente du GFIC

Apaiser la peur de la métamorphose

Si l’organisation est ouverte à toutes et tous, « l’ADN du groupe est religieux, avec différents niveaux de croyances et de pratiques », décrit Lucie, dont les trois garçons sont circoncis et baptisés. Lorsqu’on lui demande si elle se vit comme un modèle à appliquer au reste de la société, elle marque un temps. Elle n’y pense pas de cette manière au quotidien. Néanmoins, elle raconte comment les regards ou les avis de l’entourage ont pu changer grâce à son conjoint et elle, et finit par répondre : « on est, mine de rien, malgré nous, un modèle. La preuve que le vivre ensemble est possible. C’est un tellement bel exemple ». 

Comme l’écrit Catherine Therrien, « celui qui accepte de quitter ses repères et de s’imprégner d’un univers différent prend le risque d’une métamorphose ». D’une certaine façon, c’est ce risque que le GFIC vient tenter de limiter, et la peur de celui-ci qu’il vient tenter d’apaiser. Être en couple mixte, ce n’est pas s’éloigner de soi au point de se perdre, c’est simplement « accepter de ne plus être le ou la même, accepter qu’une partie de ce qu’on considérait soi, s’altère, se modifie ».

Si cet article vous a plu, courez écouter l’épisode 34 du podcast Joyeux Bazar, avec Marion qui nous raconte sa construction entre une famille maternelle juive pétrie de culpabilités et une famille paternelle catholique et antisémite. Ensemble, nous nous sommes demandé comment “habiter la frontière” et nous avons exploré la notion de communautés.

Vous pouvez également lire sur notre site web l’interview d’Olivier Orna, qui a fondé Theotokos, le premier site de rencontres chrétien en France – qui compte 20% de non-chrétien.nes !

Image de couverture : Photo via Vecteezy