Comment s’assure-t-on de ne pas vivre seulement les un.e.s à côté des autres, mais réellement ensemble ? Au collège de Maisonneuve à Montréal, la question s’est posée quand une dizaine d’élèves a tenté de rejoindre le djihad. Depuis, des efforts actifs sont faits pour que les différences se parlent, au lieu de seulement cohabiter.

Diversité ou inclusion ?

C’est un lycée pas comme les autres : à la fin du cursus secondaire, les élèves peuvent y expérimenter des formations pré-universitaires, mais aussi une pédagogie originale qui fait la part belle à la découverte interculturelle, l’engagement humanitaire ou encore le débat d’idées. C’est pourtant de cet établissement, loué pour sa diversité socioculturelle et régulièrement présenté comme le symbole d’un Québec de plus en plus brassé, qu’une dizaine d’étudiants ont tenté de rejoindre les rangs de l’Etat islamique en Syrie en 2015. Comment en est-on arrivé là ?

“Qui inclut qui?” par Charline du blog “Mon fils en rose”

Pour faire simple, on peut être tous.tes assis.es à la même table et ne pas pour autant pouvoir s’y exprimer et y interagir de manière égale. Dans une série d’articles sur la parentalité décoloniale, Charline, autrice du blog « Mon fils en rose », illustre bien toutes les nuances qu’il existe entre exclure et inclure : on peut intégrer et ainsi afficher une diversité visuelle, on peut assimiler c’est-à-dire faire une place à condition que les différences soient gommées, on peut inclure en acceptant l’autre dans son entièreté et sa singularité. Charline propose d’aller encore plus loin que l’inclusion, avec un modèle de connexions « constellaires » qui permettrait d’exprimer davantage la complexité des identités.

On ne peut pas forcer le dialogue

Dans le film documentaire Maisonneuve, à l’école du vivre-ensemble, de Nicolas Wadimoff et Emmanuelle Walter (2019, 95 minutes), on suit pendant un an le quotidien de plusieurs élèves, cadres et enseignants, ainsi que le rôle des « travailleurs.ses de corridor », ces animateurs.rices socioculturel.le.s déployé.e.s dans les couloirs du collège depuis le drame.

Sans vouloir parler à la place des camarades concerné.e.s, chacun.e s’interroge sur leurs raisons. Pour Rayene, une élève, « les gens qui partent, c’est pour devenir des héros, servir une cause qui leur est chère, donc la question, c’est comment on fait pour que ces jeunes soient des héros dans leur propre société ». Une question moins anodine qu’il n’y paraît, dans un Québec très soucieux de préserver sa culture spécifique et tout aussi désireux de s’ouvrir au monde. Ainsi la direction du collège s’attelle-t-elle à transformer la culture de l’établissement pour y favoriser la communication entre les différentes communautés. Mais comment fait-on cela ? Peut-on forcer le dialogue ?

https://youtu.be/e5j8YA1m12Q

Mohamed Mimoun, un des travailleurs.ses de corridor détaché.e.s à Maisonneuve, décrit bien la pression qui pesait sur ses collègues et lui à leur arrivée : « tout le monde s’attendait à ce qu’on trouve « quelque chose », mais nous on a juste trouvé des jeunes comme tout le monde, qui ont des problèmes dans leur quotidien mais aussi de bonnes choses à partager ». Pour que la rencontre ait lieu et de manière sereine, il s’agit donc de créer un espace disponible pour partager ces « bonnes choses ».

Ecouter le problème avant de trouver une solution

Comme l’explique Valérie dans l’épisode 8 de Joyeux Bazar, « il s’agit de savoir quelle partie de moi je décide de mettre dans le collectif, et quelle part je garde libre », libre des règles collectives potentiellement contraignantes. Car oui, vivre différent.e.s et ensemble est un effort de chaque instant, une attention permanente pour maintenir un équilibre par essence fragile. Fille d’un Allemand professeur de français en Allemagne et d’une Française professeure d’allemand en France, Valérie a créé le cabinet Amarillo pour accompagner les collectifs sur les questions d’identité collective. Dans ses interventions, elle veille à ne pas « survendre » les bénéfices de la différence. « Mon boulot, c’est de comprendre jusqu’où ça crée de la valeur, parce que non, la diversité n’est pas toujours le fonctionnement le plus efficace ». Voilà qui est dit.

Valérie, française et allemande, accompagne les organisations sur les questions d’identité collective

A Maisonneuve, les étudiant.e.s se sentent globalement mieux accepté.e.s et compris.es dans leurs différences, mais les tensions subsistent. S’il existe de nombreux espaces, physiques et relationnels, dans lesquels poser des questions maladroites, exprimer un mal-être ou déposer une parole qui n’est pas politiquement correcte, on voit bien que le principal syndicat étudiant, plutôt à gauche et qui se revendique ouvert à tous, semble aveugle à l’absence de diversité culturelle au sein de son bureau. Le documentaire – et l’histoire du collège de Maisonneuve – ne se termine donc pas comme un conte de fées. Mais peu importe, ce qui est essentiel, c’est la manière dont une communauté s’est mobilisée dans l’objectif non pas de concevoir des solutions, mais d’écouter les problèmes.