solene brun, sociologue de la race

Joyeuse rencontre

Solène Brun

Solène Brun est chercheuse en sociologie à l’Institut Convergence Migrations. Elle s’est intéressée en 2019 aux familles d’adoption internationale et aux couples mixtes ayant des enfants pour comprendre comment ces parents, dont au moins un est racialisé comme blanc, socialisent des enfants qui, eux, ne sont pas racialisés comme blancs. Avec Sarah Hamny, stagiaire chez Joyeux Bazar, on a voulu en savoir plus !

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet de l’identité raciale dans les familles multiculturelles ?

Pendant mon année universitaire en Afrique du Sud, j’ai suivi des enseignements sur les questions raciales, peu étudiées en France, et qu’à mon retour j’ai eu envie d’explorer à partir de terrains de recherche français. Analyser les frontières raciales et la manière dont elles s’incarnent dans ces familles “mixtes” m’a semblé être une bonne manière d’appréhender ce qu’est la race et ce que cela signifie de considérer qu’elle est socialement construite et non pas biologiquement transmise.

Vous concluez que l’identité raciale est aussi un héritage familial (et donc social)…

En sociologie, on considère traditionnellement la famille comme un lieu de socialisation. Les manières d’être et de faire codées comme “masculines”, “féminines” ou “de classe supérieures” s’apprennent, souvent inconsciemment, dans nos familles. Il n’y a pas de raison que la race en tant que rapport social échappe à cet apprentissage et cette transmission. C’est ce que je montre dans ma thèse Trouble dans la race

« Certains comportements, pratiques ou consommations culturelles sont “codés” comme blancs »

Solène Brun

Quels sont ces codes sociaux qui vont faire qu’on va être assigné.e blanc.he ou non indépendamment de ce qu’on est “physiquement” ?

Il ne s’agit pas d’évacuer le corps, mais en effet certaines personnes adoptées ou descendantes de couple mixte disent parfois qu’elles ont été élevées “comme des Blanc.he.s” ou qu’elles se font appeler “bounty” ou “banane”, donc perçues comme “blanches à l’intérieur”… L’enquête a montré que certains comportements sont “codés” comme blancs. C’est le cas de certaines pratiques qui renvoient aux classes supérieures (comme la pratique de l’équitation), et plus largement de certaines consommations culturelles ou comportements (musique, vêtements, habitudes de sortie, manières de se comporter en famille, etc.).

Est-ce qu’en termes de socialisation raciale, on observe des dynamiques différentes entre familles fondées par des couples mixtes et familles adoptives ?

La présence d’un parent lui-même racialisé comme non blanc, dans les familles fondées par des couples mixtes, fait une grande différence en termes de possibilité de transmission. Cela dit, dans la plupart des couples mixtes que j’ai rencontrés, c’est la mère qui est blanche. Or, les socialisations incombent encore beaucoup à la mère (ce qui pose aussi la question de la dimension genrée des transmissions). Ainsi, la question du soin des cheveux ne sera pas abordée de la même façon selon que la mère est blanche ou non. Et cette question fait partie des pratiques quotidiennes qui peuvent se voir racialisées.

Une réconciliation entre la façon de se percevoir soi-même et l’assignation par autrui est-elle possible, ou est-on condamné.e à une forme d’insécurité identitaire ?

Dans mon travail, j’en suis arrivée à considérer que ce que l’on appelle l’identité raciale est le fruit de l’interaction entre la manière de s’identifier soi-même, la manière d’être perçu.e par les autres, et la manière dont on a été socialisé.e, dans sa famille mais aussi dans d’autres cercles. Parfois, ces différents niveaux ne convergent pas. Certaines personnes apprennent à naviguer, mais dans l’inconfort. D’autres vont investir une identité plus qu’une autre, pour sortir du tiraillement. D’autres encore vont embrasser ce côté pluriel avec aisance, et peut-être vouloir se définir autrement que par leur identité raciale*. A noter que la capacité à adopter cette posture “au-delà des identités raciales” est plus aisée dans des environnements où sa non-blanchité ne fait pas trop l’objet de stigmatisation ou de discriminations…

« Je prends davantage conscience aujourd’hui de la dimension polémique, en France, de mes objets de recherche »

Solène Brun

Vous parlez d’une dimension performative de l’appartenance raciale. De quoi s’agit-il ?

C’est le fait d’aborder la race non pas comme quelque chose que l’on est, mais plutôt quelque chose que l’on fait. Ce sont ces manières d’être et d’agir qui vont être codées racialement par les autres. Cela permet de sortir d’une vision essentialiste, en considérant que la race est aussi une affaire de pratiques sociales. Ce qui peut d’ailleurs amener à des stratégies : une enquêtée m’a confié par exemple avoir changé sa manière de manger et de parler pour être perçue – et acceptée – comme noire.

Comment vos recherches ont-elles été accueillies dans le corps universitaire ?

J’ai eu de la chance de faire ma thèse dans un environnement bienveillant, avec une directrice de thèse, Mirna Safi, qui a elle-même travaillé sur les inégalités ethno-raciales en France. Je dirais que je prends davantage conscience aujourd’hui, à l’heure de chercher un poste pérenne, de la dimension polémique de mes objets de recherche.

Et dans les familles, comment avez-vous été accueillie ?

J’ai pris soin de ne pas dire que je travaillais sur la question raciale, pour éviter d’influencer les discours, et j’ai très souvent été très bien accueillie. Je me suis aussi demandé si mon propre métissage compliquerait les échanges avec les un.e.s ou les autres. Finalement, j’ai pu tirer avantage de mon identification plutôt ambigüe et naviguer cet espace incertain.

Solène Brun travaille actuellement à la publication des résultats de sa thèse et prévoit de lancer un nouveau projet de recherche sur la question de la reproduction familiale de la race, à partir du cas des couples ayant recours à la procréation médicalement assistée (PMA).

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