Le métier de sentitive reader ou « lecteur.rice en sensibilité » a émergé ces dernières années dans les maisons d’édition aux Etats-Unis, afin que l’auteur.rice puisse parler des minorités et de leurs expériences de manière plus respectueuse. Une énième offense à la liberté de création et d’expression ?
Sensitive reader : qu’est-ce que c’est ?
Les lecteur.rice.s en sensibilité sont des expert.e.s comme il en existe déjà en littérature et au cinéma, lorsque l’auteur.rice ou le.la scénariste veut aborder un domaine qu’il.elle ne maîtrise pas. On trouve parmi ces expert.e.s les médecins consulté.e.s pour assurer un minimum de vraisemblance dans les séries hospitalières, les policier.ère.s pour les polars, les animateur.rice.s jeunesse pour des contenus destinés aux adolescent.e.s… De la même manière, échanger avec un.e imam, une association de personnes réfugiées ou une personne transgenre peut être utile pour s’assurer que les expériences décrites sont crédibles et représentatives de « la vraie vie ». Est-ce que c’est aller trop loin ?
Une nouvelle forme de censure ?
Il y a eu ces dernières années dans le monde anglo-saxon de nombreux scandales, comme l’accusation d’appropriation culturelle faite à l’autrice de Harry Potter ou le retrait des rayons d’un ouvrage dans lequel les esclaves de George Washington… s’affairent joyeusement pour lui préparer un gâteau d’anniversaire (si, si). En France, de nombreux.ses intellectuel.le.s estiment cependant qu’il s’agit d’une censure qui ne dit pas son nom. Réaction qui pour Marjorie Ingall, écrivaine américaine, « émane principalement d’hommes blancs, non issus de minorités, qui ne peuvent pas comprendre qu’un passage puisse toucher et offusquer un certain public ». Elle estime que les sensitivity readers aident simplement l’auteur.rice à parler de choses dont il.elle n’est pas familier.ère.
On en revient toujours aux fondamentaux : (tenter de) se mettre à la place de l’autre ! Oui, le propre de l’art est d’inventer à sa guise, de pouvoir raconter des choses que l’on n’a pas forcément vécues soi-même. Oui, on ignore si Flaubert a consulté des femmes de son entourage pour écrire Madame Bovary. Mais si ce texte est toujours étudié de nos jours, c’est qu’il réussit à dépeindre de manière réaliste certains traits d’une époque. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : le souci de crédibilité (même dans le roman). C’est le fameux « on y croit vraiment ! » à la sortie des salles obscures.
La question des représentations
Si tous les personnages asiatiques d’un roman travaillent dans un restaurant de nems, sont fort.e.s en maths ou ont le même accent dit asiatique, on peut se demander s’il n’y aurait pas un léger problème.
Nous avons abordé ces sujets de représentation avec Charline dans l’épisode 30, précisément dans le cadre de la littérature jeunesse. Il n’est pas interdit de représenter des enfants noir.e.s courant tout.es nu.e.s dans la savane, il est très lassant de ne voir quasiment que ces images livre après livre, et de devoir fouiller au fond des rayons pour trouver une histoire mettant en scène un personnage principal noir, au rôle positif et dans un cadre moderne. « Il est important de se voir représenté.e de manière juste », explique Charline. En attendant que les maisons d’édition françaises se mettent peut-être aussi aux sensitive readers, dans une interview à Joyeux Bazar, l’illustratrice Ama rappelait que le pouvoir de changer les choses est entre les mains des consommateur.ice.s !