Nicolas Mel

Joyeuse rencontre

Nicolas Mel

Nicolas Mel accompagne des personnes qui souhaitent être plus à l’aise dans leur prise de parole, développer leur impact à l’oral. Et pourtant, c’est un ancien timide ! Et il semblerait que son parcours de transfuge de classe et fils d’immigrés n’y soit pas pour rien. J’ai voulu en savoir plus…

Vous dites être un ancien timide et vous évoquez plusieurs raisons possibles à cela, mais dans votre livre SILENCE : Prendre La Parole Avec Aisance et Éloquence en Toutes Circonstances, vous parlez notamment des ambitions scolaires très fortes de votre père à votre égard…

En effet, j’explique que mon père avait une vraie ambition pour son premier garçon que je suis. J’ai appris à lire, à écrire, à compter très tôt, j’ai sauté une classe, j’ai intégré SciencesPo Paris plus tard, bien que nous venions d’un milieu dit “défavorisé”. J’ai intériorisé très tôt et assez profondément l’importance de bien faire, et j’ai été “drivé” par les injonctions “Sois fort.e”, “Sois parfait.e”. Dans ma compréhension des choses, la timidité était une façon de masquer les “défauts” de ma personnalité et de coller à ce que l’on attendait de moi : réussir.

« Quand on immigre, on est tenté.e d’adopter des comportements “surcadrés”. Il faut faire comme les autres, ne pas se faire remarquer »

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Vous rappelez aussi les parcours d’immigration, depuis la Côte d’Ivoire pour votre père et l’Italie pour vos grands-parents maternels. Quel lien faites-vous entre ces racines et le rapport à la prise de parole ?

Je pense que l’immigration génère des enfermements plus ou moins conscients dans des cadres. Quand on immigre dans un pays avec la volonté de s’y intégrer, on est tenté.e d’adopter et de faire adopter à ses proches des comportements “surcadrés”. Il faut faire comme les autres, plus que les autres, ne pas se faire remarquer, être accepté.e. Cette notion d’effort – d’intégration, en l’occurrence – est caractéristique de ce que j’appelle le “surcadrage”.

Parlez-nous justement de votre “théorie des cadres”…

J’écris actuellement un deuxième livre dans lequel je distingue quatre cadres que nous adoptons en situations sociales. Le surcadrage, donnant lieu à un comportement très sérieux, le cadrage que l’on peut assimiler à quelqu’un qui paraît “normal” et qui ne dénote pas, le décadrage qui est le domaine du plaisir, et le sous-cadrage, celui de la liberté (un peu comme quand on est ivre). Lorsque l’on n’est pas issu.e d’un parcours d’immigration, on est beaucoup plus à l’aise avec l’idée de décadrer, de montrer sa personnalité sans le poids du surcadrage.

Quel était d’ailleurs le rapport de vos parents à la prise de parole ? Les avez-vous souvent vus s’exprimer en public ?

Jamais ! Mes parents sont des personnes assez discrètes. Ma mère, prendre la parole est quelque chose qui lui fait peur. Mon père, je crois que l’art de bien s’exprimer l’a toujours impressionné. Il semblerait que j’aie hérité de la peur de ma mère que j’ai dépassée, et de l’intérêt de mon père que j’ai su garder !

Prendre la parole, c’est aussi s’affirmer individuellement, peut-être sortir de la case du “bon fils” ?

Exactement ! Mes parents, je pense surtout à mon père, ne communiquaient pas énormément avec nous. Le fait d’avoir dépassé ma peur de prendre la parole m’a permis d’oser leur dire des choses qui me semblaient inavouables. Qu’il s’agisse de contextes amicaux, familiaux, professionnels, de prises de parole improvisées, préparées, solennelles ou plus détendues, je pense qu’être à l’aise à l’oral, c’est être libre.

« Pour beaucoup d’entre nous, Français.es, l’oral n’est pas un art, c’est un combat ! Une performance qu’on rate ou qu’on réussit. Chez les Anglo-saxon.ne.s, c’est d’abord du plaisir »

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Est-ce que parmi vos apprenant.e.s et coaché.e.s, vous retrouvez des personnes chez lesquelles la double culture, le fait d’être étranger.ère, contribue à la difficulté à prendre la parole ?

Chez beaucoup, oui ! Et très souvent, le manque de confiance à l’oral vient de l’imposition d’un surcadrage : il faut faire comme si tout allait bien, en faire plus, être parfait.e et fort.e, là où d’autres personnes prennent l’exercice avec plus de légèreté. On travaille alors sur un rapport à leurs peurs, puis des éléments techniques (non-verbal, structure, rhétorique), on développe leur sens de l’improvisation et leur assertivité, et on finit par la théorie des cadres où on leur apprend à être à l’aise en adoptant le bon cadre.

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Quand j’étais en école de commerce, les étudiant.e.s étranger.ère.s prenaient la parole avec beaucoup plus d’aisance – tout en faisant bien plus de fautes ! – que nous Français.es. La faute à un enseignement plus “magistral” en France, mais peut-être aussi au rapport à la langue qui est très scruté, qu’en pensez-vous ?

Dans l’enseignement en France, l’oral est très marginal et très tôt associé à une notion de performance. Les premiers exposés sont évalués, les oraux du brevet et du bac sont notés, puis vient l’entretien d’embauche. Pour beaucoup d’entre nous, Français.es, l’oral n’est pas un art, c’est un combat ! Une performance qu’on rate ou qu’on réussit. Chez les Anglo-saxon.ne.s, c’est d’abord du plaisir. Très tôt on apprend aux petit.e.s Américain.e.s à raconter leurs vacances devant toute la classe, juste pour le plaisir de partager. C’est une autre façon de faire, qui comporte aussi ses limites mais apporte beaucoup plus d’aisance à l’oral.

Pourquoi avoir appelé votre cabinet SILENCE ?

C’est un paradoxe que je trouve très parlant : le silence est très éloquent ! Je suis persuadé que le silence est l’arme ultime du pouvoir, comme le disait le Général de Gaulle. En tant qu’ancien timide, j’ai longtemps vu le silence comme une fragilité. Aujourd’hui je réalise à quel point c’est l’alpha et l’oméga de l’art oratoire. C’est tout autant le début de mon parcours dans cette discipline lorsque j’étais timide, et la fin de mon voyage lorsque j’aurai tout dit !

 

Nicolas dirige l’organisme de formation SILENCE., spécialisé dans la communication orale et écrite, et il préside également le mouvement Tous Orateurs!.

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