L’Institut du monde arabe présente « Juifs d’Orient – Une histoire plurimillénaire », première exposition de cette envergure dédiée aux communauté juives d’Afrique du nord et du Moyen-Orient. Une première – que Joyeux Bazar vous annonçait dès mi-octobre – qui fait écho à l’épisode 35 de notre podcast, dans lequel Myriam Levain expliquait que « quelque chose est en train de changer », et que l’histoire séfarade est enfin racontée.
Il n’y a pas que la fin !
« Il y a aussi eu des moments de convivance entre Arabes et Juifs », rappelle Benjamin Stora, éminent historien et commissaire général de l’exposition. Lors du vernissage, auquel Joyeux Bazar était convié, il précise que « la fin de cette histoire constitue la conclusion de l’exposition, mais n’en est pas le cœur ». Car avant le conflit israélo-palestinien, il y a d’abord eu 2 000 ans d’histoire commune – certes ambivalente – entre ces peuples. Ce n’est qu’après l’arrivée de Mahomet à Médine et son opposition théologique avec les tribus juives qui y vivaient alors, que les Musulman.e.s s’éloigneront de certaines pratiques empruntées au judaïsme : la direction de la prière va changer, ainsi que la date du jeûne, qui auparavant avait lieu à Kippour.
L’exposition s’appesantit ainsi sur la période la plus longue et peut-être la moins connue du grand public, en montrant le syncrétisme artistique et culturel (à travers des pièces extrêmement rares, pays par pays), mais aussi l’impact de la colonisation française en Afrique du nord, de la création de l’Etat d’Israël, des nationalismes arabes, qui vont contribuer à la fracture. Et à l’exil.
Dire, crier, chanter sa douleur
Dans la dernière partie de l’exposition, consacrée au départ des Juif.ve.s d’Afrique du nord et du Moyen-Orient vers l’Europe et Israël, je me suis demandé si on connaissait vraiment cette « fin » de l’histoire. Comme le rappelait Myriam Levain dans l’épisode 35 enregistré en live au Ground Control à Paris, il y a ce silence des Séfarades sur le déracinement qu’ils ont vécu, « petite douleur » jugée négligeable par rapport à la « grande douleur » de la Shoah.
Même celles et ceux qui ont fait le choix d’Israël, d’un pays enfin à elleux, sont accueilli.e.s comme des citoyen.ne.s de seconde classe. Plusieurs familles de ces mizrahim (« Moyen-orientaux ») sont aspergées de DDT à leur arrivée, car soupçonnées de véhiculer des maladies ! Autant de souvenirs que les protagonistes ont souvent préféré taire et que l’exposition donne à ressentir, autant d’émotions entrelacées que la chanteuse israélienne Neta Elkayam reprend et modernise en piochant dans les chants traditionnels issus de ses racines juives marocaines : elle sera en concert à l’Institut du monde arabe le 7 décembre.
Préserver le patrimoine en attendant une solution politique
Trop de jeunes ignorent tout simplement que cette cohabitation entre Juifs et Musulmans a existé, que par exemple, pendant la deuxième Guerre mondiale le sultanat du Maroc a refusé la déportation de ses Juif.ve.s. Or, ce sont ces générations qui aujourd’hui peuvent s’emparer de cette histoire plurielle.
Mais activer le lien culturel peut-il avoir un impact, tant qu’aucune solution politique n’est trouvée dans le conflit qui oppose Israël aux territoires palestiniens ? Il faut quand même agir car en attendant cette solution politique, d’autres travestissent l’histoire. Il s’agit donc de préserver un patrimoine, en dépit de la haine, des affrontements, des questions non réglées, « sinon, les jeunes générations vont être nourries de fantasmes – d’imaginaires qui sont exclusivement ceux de la haine », estime Benjamin Stora.
Trop peu souvent citées, Elodie Bouffart, Hanna Boghanim et Nala Aloudat ont préparé l’exposition “Juifs d’Orient – une histoire plurimillénaire” en tant que commissaires exécutives. Merci et bravo à elles !