Domitilla est une orthophoniste spécialisée dans l’accompagnement des familles expatriées et / ou plurilingues. Elle est elle-même une serial expatriée (de son pays la Belgique vers l’Angleterre, la France, puis le Japon, Singapour et maintenant l’Allemagne). Le profil idéal pour expliquer le lien entre langage et ancrage !
Pourquoi tu t’es spécialisée dans les familles expatriées ou plurilingues ? Quels sont leurs besoins spécifiques ?
Je suis à la base une orthophoniste généraliste, je m’occupe de rééduquer différents troubles du langage, à l’oral ou à l’écrit. Je me suis peu à peu spécialisée dans l’accompagnement de ces familles-là tout simplement parce que c’est ma vie depuis plus de 20 ans ! Et mon cabinet 100% en ligne permet de les accompagner où qu’elles se trouvent, même au fil des déménagements. Le premier besoin, c’est vraiment d’être écouté.e sans jugement, d’être reconnu.e et compris.e dans son parcours de vie atypique. Ensuite, il faut une bonne connaissance des mécanismes d’apprentissage des langues et des différents systèmes scolaires à l’étranger.
Quel est le rapport de ces enfants multiculturels aux différentes langues qui les entourent ?
Les enfants qui sont exposés aux différentes langues depuis la grossesse s’identifient fortement aux deux langues, comme ils.elles s’identifient à chacun de leurs parents. Tandis que si l’enfant devient plurilingue via l’école ou l’expatriation, le rapport à la langue est lié à des apprentissages, des amitiés, un contexte plus extérieur. Tout ceci a des impacts différents au niveau psycho-affectif. Je me souviens d’un adolescent qui ne savait pas trop répondre quand je lui demandais “tu parles quelle langue avec qui ?”, parce qu’il raisonnait en langage dans sa globalité et pas en différentes langues !
(c) Caroline Gaujour pour Domitilla de Laporte
Quel est le top 3 des sujets pour lesquels les familles viennent te voir ?
Les retards de parole et de langage, c’est-à-dire le manque de vocabulaire et de structure dans le discours, ainsi que les troubles articulatoires, mais aussi les épisodes de bégaiement, et enfin les difficultés avec l’écrit et l’orthographe. Ce sont des cas “classiques” pour un.e orthophoniste mais qui peuvent prendre des proportions plus importantes dans un contexte plurilingue ou expatrié, parce que le parent veut trouver un.e thérapeute qui parle sa langue et comprenne sa culture. Il.elle veut aussi que l’enfant ou l’ado soit suivi.e dans sa langue dite maternelle. On se retrouve donc souvent dans une certaine errance thérapeutique, c’est-à-dire que pendant plusieurs mois la famille navigue de thérapeute en thérapeute sans avoir de diagnostic précis, ni de solution appropriée…
Est-ce que tu dirais que les troubles du langage chez ces “enfants de la troisième culture” reflètent parfois une difficulté à trouver sa voie, sa voix ?
C’est une question intéressante. Qu’on se le dise, les troubles du langage ne viennent certainement pas du fait d’être un enfant de la troisième culture ! En revanche, la faculté à s’exprimer de manière fluide et efficace avec tous les mots de vocabulaire, liés aux émotions notamment, peut poser des difficultés.
Tu proposes de la rééducation classique pour les enfants, mais aussi de la guidance parentale…
Tout à fait. Par exemple, quand il y a dans le couple deux langues dites maternelles, et parfois l’anglais en plus comme langue commune, les parents consultent très tôt lorsque le premier bébé arrive, parce qu’ils.elles sont un peu perdu.e.s sur la ou les langues qu’ils.elles vont transmettre à leur bébé et comment cela va s’articuler de manière pratique dans leur quotidien.
« Qu’on se le dise, les troubles du langage ne viennent certainement pas du fait d’être un enfant multiculturel ! »
Domitilla de Laporte
Qu’est-ce que tu leur réponds ?
Chaque cas étant unique, il est bon de se poser en couple pour faire un état des lieux réaliste de ce qu’on peut mettre en place de manière durable. Certaines familles vont opter pour la solution OPOL (une personne une langue), d’autres choisiront des moments particuliers, ou mélangeront les langues (cela s’appelle le “parler bilingue”). Au final, tout cela peut évoluer dans le temps, car les langues sont vivantes, au même titre que ceux.celles qui les parlent ! Mais avoir une stratégie est un vrai plus.
Plusieurs invité.e.s de Joyeux Bazar racontent comment l’Éducation nationale en France a dissuadé leurs parents de leur transmettre leur autre langue*…
Effectivement, c’est un mythe tenace selon lequel le plurilinguisme est une surcharge pour l’enfant, qui va donc parler plus tard que les autres, être un peu confus.e, etc. Pour rappel, le bilinguisme n’est JAMAIS la cause d’un retard ou d’un trouble du langage. C’est le langage qui est la difficulté, pas les langues. Il est prouvé que les enfants atteints de TDL (Trouble Développemental du Langage) ont le même niveau de langage, qu’ils soient bilingues ou monolingues. Le linguiste François Grosjean a aussi déconstruit nombre d’idées reçues qui persistent au sujet du plurilinguisme.
Supprimer une des langues de l’enfant peut avoir des effets très négatifs à moyen et long termes : réduire la communication avec la famille, créer un sentiment d’exclusion, engendrer un rejet de ses origines, etc. C’est donc une décision qui ne peut être prise que par les parents, et non pas imposée par un tiers.
Il y a sur le site web de Domitilla et dans sa newsletter tous les conseils qu’elle aurait aimé recevoir en élevant ses enfants à l’étranger ! Elle les a aussi compilés dans un livre qui n’attend plus qu’un éditeur 😉