Anne m’a écrit en juillet 2020 après avoir écouté l’épisode 8, dans lequel Valérie, française et allemande, donne sa vision du vivre-ensemble – un effort permanent pour construire un collectif cohérent sans se diluer pour autant. Depuis, nous échangeons régulièrement. Chargée des actions à l’international dans un lycée professionnel en Bretagne, elle regorge d’idées pour y favoriser l’interculturel.
Pourquoi as-tu décidé de travailler sur « la qualité d’accueil des non-Breton.ne.s » dans ton lycée ?
Le multiculturel est partout, nous sommes tou.te.s concerné.e.s. J’ai envie de travailler sur l’ouverture d’esprit qui permettrait à chacun.e de faire sa place au quotidien dans notre lycée, dans notre ville. J’ai moi-même un jour « atterri » en Bretagne, et j’ai bien vu les stéréotypes, la peur de l’inconnu.e. Française et blanche, on me disait « tu es d’où ? tu as un accent », et quand je répondais, la conversation s’arrêtait net.
Et pourtant, après une mobilité en Nouvelle-Calédonie, tu es revenue en Bretagne !
Oui, au bout d’un an les Breton.ne.s avaient arrêté de me demander d’où je viens… Je me suis même dit à un moment qu’après tout, avoir peur, c’est mieux qu’ignorer, ça signifie « je t’ai vu.e… et tu me gênes » (rires) !
Tu as fait venir des élèves espagnols en 2019-2020…
Oui, des apprentis menuisiers galiciens venus avec une bourse Erasmus ! Mon travail consiste à envoyer mes lycéen.ne.s à l’étranger, je me suis dit : pourquoi pas faire venir des gens, aussi ? J’ai dû forcer un peu certain.e.s collègues à les accueillir dans leur classe, leurs ateliers… mais finalement, ça a suscité beaucoup de joie. Trois mois plus tard, tout le monde parlait encore de ces Espagnols curieux et souriants. Maintenant, il y a aussi les autres, qui sont sur place et ne sont pas forcément souriant.e.s : je veux les connecter entre eux.elles et avec les autres élèves.
« On a inversé l’image de ces classes : plus difficiles pédagogiquement, elles devenaient aussi les plus riches linguistiquement. L’image de « l’étranger.ère » pouvait alors commencer à changer »
Anne
C’est comme ça qu’est venue l’idée de travailler autour des langues ?
C’était en 2019, je cherchais une idée pour la Journée européenne des langues le 26 septembre. J’ai demandé aux professeur.e.s de recenser toutes les langues parlées par leurs élèves, le résultat est incroyable : jusqu’à 24 dans chaque classe ! J’ai centralisé les chiffres, on a fait de belles affiches, et on a inversé l’image de ces classes : plus hétérogènes et plus difficiles pédagogiquement, elles devenaient aussi les plus riches linguistiquement. Donc l’image de « l’étranger.ère » pouvait commencer à changer.
Et pourquoi un projet de podcast à présent ?
Nous avons beaucoup de mineur.e.s isolé.e.s, qui arrivent tout.es seul.e.s, d’assez loin. Ils et elles ne font pas beaucoup de bruit. Avec les autres, ils et elles se croisent dans les couloirs mais ne se connaissent pas tant que ça, alors que demain tout ce monde va travailler sur les mêmes chantiers ! Il faut créer des diagonales, leur dire « on vous voit », et montrer qu’eux.elles aussi ont quelque chose à nous apprendre. Mais la vidéo, c’est intimidant, et puis certain.e.s n’ont pas de papiers, ne veulent pas se montrer. Le podcast, c’est bien. Maintenant il faut motiver les enseignant.e.s.
Ils.elles ne voient pas l’intérêt ?
Ceux.celles qui ont déjà quitté la Bretagne, ou qui enseignent le français langue étrangère, oui ! Les autres – je caricature un peu, mais pas beaucoup – me disent qu’il n’y a pas besoin. Que c’est compliqué. Cela dit, peu à peu j’apprends à leur parler, à leur demander une petite chose pas trop difficile au lieu de les ennuyer en expliquant tout le projet.
Affiche créée dans le lycée d’Anne à l’occasion de la Journée européenne des langues 2019
Où en est le projet, justement ?
J’avais échangé avec une professeure allemande très motivée pour participer à des projets dans le lycée, mais Covid oblige, elle ne viendra pas. J’ai réalisé une interview-test avec une collègue tchèque, qui m’a permis d’ajuster le degré d’intimité des questions, le niveau de langue… En tout cas, quand le micro est allumé, l’ambiance change, il y a une sorte de magie et de sincérité qui s’installe. J’ai refait un pilote, avec un élève cette fois. Et j’ai toute une liste d’élèves intéressé.e.s, qui parlent bambara, soninké, ourdou ! Ces jeunes apprécient d’être écouté.e.s et reconnu.e.s.
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